Le voeu du faisan

Le voeu du faisan

19/06/2022 Us et coutumes & vie quotidienne 0


Sur notre camp d’érudits nous sommes régulièrement interrogés sur les anecdotes de la Cour liées au pouvoir, à la politique. Nous vous partageons donc aujourd’hui l’une d’entre elles : le vœu du faisan où une promesse politique se scelle au cours d’un banquet.

Nous sommes le 17 février 1454, à Lille, à la Cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Un banquet qui deviendra célèbre sous le nom de « Banquet du faisan » pour son engagement d’aller délivrer Constantinople prise par les Turcs l’année précédente.

Ce qui est intéressant sur cette promesse chrétienne pour la croisade, qui ne sera jamais tenue, est qu’elle répond au rituel païen qui faisait jurer les participants à une entreprise sur un animal qu’ils se partageaient ensuite également.

Cette fête de Lille précédait de peu la diète impériale de Ratisbonne concernant la Turquie, qui n’aboutira pas non plus, tout comme la croisade malgré la sincérité de Philippe le Bon pour cette croisade.

Mais écoutons Mathieu d’Escouchy, chroniqueur de l’époque qui fit un récit détaillé du Vœu du faisan :

« Après l’apparition d’un géant escortant une dame représentant la sainte Église, apparaît dans la salle du banquet : « Toison-d’Or, roy d’armes, lequel portoit en ses mains un phaisant (faisan) en vie, orné d’un riche collier d’or, garny de pierres fines et de perles ; et après iceluy Toison-d’Or, vinrent deux damoiselles adextrées de deux chevaliers de la Toison-d’Or. Ils s’avancèrent jusques devant le duc, où après avoir fait la révérence, ledit Toison-d’Or parla à icelui duc en ceste manière : »

« Très haut et très puissant prince, et mon très redoutable seigneur, voyez ici les dames qui très humblement se recommandent à vous ; et pour ce que c’est la coutume qui a esté anciennement instituée, après grandes festes et nobles assemblées, on présente aux princes et seigneurs et aux nobles hommes le paon ou quelque autre noble oiseau pour faire des vœux utiles et valables, pour ce sujet on m’a ci envoyé avec ces deux damoiselles pour vous présenter ce noble phaisant, vous priant que le veuillez avoir en souvenance. »

« Ces paroles estant dites, icelui duc print un bref escript, lequel il bailla à Toison-d’Or, et dit tout haut : Je voue à Dieu, mon Créateur, à la glorieuse Vierge Marie, aux dames et au phaisant, que je feray et entretiendray ce que je baille par escript. »

« Toison-d’Or prend alors l’écrit et en fait lecture à haute voix. C’était le vœu que faisait le prince d’entreprendre et d’exposer son corps pour la défense de la foi chrétienne, et pour résister à la dampnable entreprinse du Grand-Turc et des infidelles… Et, ajouta-t-il, si je puis, par quelque voye ou manière que ce soit, sçavoir ou cognoistre que ledit Grand-Turc eût volonté d’avoir affaire à moy corps à corps, je, pour ladite foy chrestienne soustenir, le combattray à l’ayde de Dieu tout-puissant et de sa très douce mère, lesquels j’appelle toujours à mon ayde. »

Proclamer des vœux sur un oiseau (paon, héron, faisan) était un rituel familier à la noblesse : « c’est la coustume et a esté anciennement, que aux grandes festes et nobles assamblées on presente aux princes et nobles hommes le paon ou quelque autre oyseau noble pour faire veux utiles et vaillabes. » (in Marie-Thérèse Caron, Les Vœux du faisan, noblesse en fête, esprit de croisade, Brepols, 2003, p. 58). Comme le paon dans d’autres civilisations, le faisan était un symbole des vertus chevaleresques. Son nom (du grec phasianos) viendrait de celui du fleuve Phase (le Rion) en Colchide (la Georgie actuelle) où la légende situe la geste des Argonautes de Jason pour la prise de la Toison d’Or avec l’aide magique de Médée.


Il est fait appel spécialement à de nombreux artistes pour participer à la décoration des lieux de festivités. La liste nominative et leur rémunération sont connues grâce aux archives ducales. On signale la présence de Jacques Daret, le mieux payé d’entre eux, mais aussi de Jean Hennecart, Jean Le Tavernier, Simon Marmion. L’objet du banquet est en effet avant tout de montrer la splendeur de la cour du Duc de Bourgogne.
‘Le voeu du faisan’ (Het feest van de Fazant), Anonyme, ca. 1500 – ca. 1599
Anonyme – Folio 89R- Le livre des Conquestes et Faits d’Alexandre – milieu 15ème siècle
Anonyme – Folio 86R- Le livre des Conquestes et Faits d’Alexandre – milieu 15ème siècle